L’amour dans le mariage
Une chose frappe dans ce long chapitre central : parlant d’amour, il sera question et des hommes et de Dieu, écrit en substance le pape. Car si l’amour est une réalité concrète, humaine, fragile et complexe, il est d’abord pour le chrétien une réalité de Dieu. Réciproquement, la manière dont Dieu aime nous dit quelque chose de l’amour humain. Le pape se met donc à l’écoute de Dieu et des hommes. Il s’en dégage une familiarité aussi affectueuse et respectueuse pour la Parole de Dieu que pour l’être humain. François nous dit : arrêtez-vous, écoutez ; voici ce que moi-même j’ai entendu.
Le lecteur est d’abord invité à goûter la beauté de l’amour conjugal, que saint Thomas envisageait comme « la plus grande des amitiés », parce qu’il offre l’intimité, la tendresse, la sécurité, la reconnaissance mutuelle. Le lecteur est également invité à se laisser déplacer pour déjouer les pièges d’une idéalisation excessive. Le mariage chrétien est le lieu où l’amour se déploie et subsiste « en dépit de tout », entre des personnes qui ont toutes « leurs limites ». On découvre peu à peu que la puissance de renouvellement de l’amour appartient à l’Esprit Saint, qu’il convient d’invoquer sans relâche. Tout ce qui pourrait anéantir l’amour est finalement de peu de poids au regard de la force surnaturelle que la grâce distille en nous au quotidien.
Quiconque aime aura certains jours à lutter. Le sachant, nous sommes mieux préparés à accueillir l’imprévu et à discerner comment nous pourrons faire le bien que nous désirons. Mais faudra-t-il toujours lutter ? L’amour est-il seulement un combat ? Le pape nous guide patiemment vers une autre compréhension de « l’amour en dépit de tout ». La clé en est la joie, car la joie précède l’amour sur le chemin de la perfection.
Quand on oublie cela, on tombe dans l’illusion qu’il y aurait des « familles parfaites », devenues telles par leurs propres forces. Avec Jean-Paul II, François affirme au contraire que la perfection des gens mariés consiste à accueillir dans la joie une perfection «qui jaillit de la charité », car elle est un cadeau de Dieu. Certes, la lutte ne disparaît pas. Mais elle s’appuie sur la promesse du mariage, cette «ouverture au définitif », placée dans les mains de Dieu, qui aide à découvrir que le plaisir d’aimer trouve des expressions diverses à travers le temps. Quand l’autre traverse des difficultés qui le rendent moins aimable, la fidélité reste source de joie.
Comme à son habitude, le pape commence par la Parole de Dieu – ici « l’hymne à la charité » souvent lu dans les mariages. François montre que les verbes choisis par saint Paul pour guider les comportements des chrétiens reprennent les verbes par lesquels l’Ancien Testament exprime l’attitude miséricordieuse de Dieu envers les hommes. Grâce aux exemples tirés de la vie familiale, un chemin de foi se dégage : nous sommes tous appelés à incarner l’amour de Dieu dans des actes concrets.
Il faut rester humble, car « l’équilibre humain est fragile » et l’essentiel est d’apprendre à aimer avec ses propres limites, en sachant que l’autre aussi a les siennes. Chacun est appelé à cultiver la joie, les bonnes habitudes, les gestes qui accueillent l’autre et le grandissent, et même à parler le « langage aimable de Jésus ». Le verbe « cultiver » revient très souvent dans ce chapitre, tout comme le mot « croissance ». En invitant à cultiver des attitudes simples et vraies, le pape s’inscrit dans les pas de saint Paul qui enseignait que si les uns plantent et que les autres arrosent, c’est Dieu cependant qui accorde la croissance (1Co 3, 6).
Le chapitre s’achève sur une note d’espérance : l’allongement de la vie offre aux époux la possibilité de toujours réapprendre à se choisir mutuellement. Car Dieu ne cesse d’agir dans le sacrement de mariage : Il accompagne les époux sur leur « chemin de croissance et de transformation personnelle ».
Philippe Bordeyne et Marie-Dominique Trébuchet