Homélie pour le Pèlerinage du M de Marie
(Lectures du mardi de la 22e semaine)
1 Corinthiens 2, 10b-16
Psaume 144
Luc 4, 31-37
Les textes de ce jour que nous venons d’entendre opposent deux esprits, et même quatre : dans la première lecture nous trouvons l’esprit de l’homme, l’esprit du monde et l’Esprit de Dieu. Dans l’évangile nous trouvons l’esprit impur, le mauvais esprit que Jésus va expulser de l’homme possédé dans la synagogue de Capharnaüm.
Quatre esprits, donc, et deux maisons, et même trois, et même une quatrième. La première maison est la synagogue, que les Juifs appellent beth knesset, la maison de l’assemblée. La deuxième, à quelques pas de là, est la maison de Simon-Pierre, où Jésus va établir son quartier général à Capharnaüm.
Dans la synagogue, chaque sabbat, on lit et on commente la Loi, la Parole de Dieu. C’est d’ailleurs ce que fait Jésus quand tout à coup l’esprit impur se manifeste et l’invective. C’est tout de même étrange de penser que l’esprit impur s’est introduit jusque dans la synagogue, le lieu où on pensait sans doute être le plus protégé de son influence mauvaise. Signe que ce n’est pas le lieu qui compte, mais le cœur de ceux qui s’y rassemblent et leur désir sincère de se laisser habiter par la Parole de Dieu.
Jésus, avec autorité, chasse l’esprit mauvais et délivre l’homme qu’il avait rendu captif. Après quoi il ira dans la maison de Simon-Pierre, et là, il guérira beaucoup de malades : ainsi, la maison de Simon-Pierre devient la figure de l’Église, dont Pierre sera établi le chef.
Dans cette maison nouvelle, l’esprit impur trouvera plus puissant que lui : l’Église, en effet, sera habitée par l’Esprit Saint. Et cela nous oriente vers deux autres maisons très importantes dans l’Évangile. D’abord la maison de Nazareth, où Marie reçoit l’annonce de l’ange : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre ». Ensuite, la maison du Disciple bien-aimé à Jérusalem, le Cénacle, où Marie sera présente au milieu des apôtres lorsque l’Esprit Saint descendra sur eux le jour de la Pentecôte. À compter de ce jour qui est celui de sa naissance, l’Église ne sera plus seulement annoncée, prophétisée, mais elle sera équipée pour remplir sa mission de répandre dans le monde entier la Bonne Nouvelle de l’Évangile.
Quatre maisons, donc, et la dernière est la plus importante de toutes parce que c’est la maison où habite l’Esprit Saint de manière stable et définitive. Tournons-nous maintenant vers les deux autres esprits, différents de l’esprit impur et de l’Esprit Saint, et dont il est question dans le texte de saint Paul. Saint Paul parle de « l’esprit de l’homme » et de « l’esprit du monde ». Qu’est-ce donc que « l’esprit de l’homme » ? Souvent nous pensons que l’être humain est seulement composé d’un corps et d’une âme, mais nous avons tort ! Si nous avions seulement un corps et une âme nous ne serions guère différents des animaux, qui eux aussi ont un corps et une âme, c’est-à-dire un principe de vie. Dans une de ses épîtres, saint Paul nous dit que nous ne sommes pas seulement âme et corps, mais âme, corps et esprit (1 Thessaloniciens 5, 23). Mais qu’est-ce donc que notre esprit ? On pourrait dire que c’est une capacité : capacité de recevoir un autre esprit qui vient nous habiter et nous transformer. L’être humain n’est pas un être fermé sur lui-même, mais radicalement ouvert à l’accueil de l’esprit.
Mais attention : tout dépend de l’esprit que nous allons accueillir en nous. Et c’est là que souvent intervient « l’esprit du monde ». Nous nous laissons envahir, habiter, posséder par un esprit qui ne vient pas de Dieu, et qui nous apprend à placer le monde au-dessus de Dieu. On le voit à l’œuvre dans la parabole du semeur à travers l’image des épines : « celui qui a reçu la semence dans les épines, c’est l’homme qui entend la Parole, mais le souci du monde et les séductions de la richesse étouffent cette Parole qui ne peut faire du fruit » (Matthieu 13, 22). L’esprit du monde cherche toujours à prendre possession de nous, et il est plus dangereux, en un sens, que l’esprit impur, parce qu’il est séducteur et qu’il s’y entend pour nous charmer et nous ensorceler. Il s’empare de l’esprit de l’homme et le noyaute, si bien que cet esprit, non seulement est tout occupé par lui, mais oublie qu’il est fait pour accueillir un autre Esprit. Mais saint Paul est formel dans le passage que nous avons entendu : « Nous, ce n’est pas l’esprit du monde que nous avons reçu, mais l’Esprit qui vient de Dieu, et ainsi nous avons conscience des dons que Dieu nous a accordés. »
La Vierge Marie est l’exemple par excellence de cet accueil sans réserve de l’Esprit de Dieu dans sa vie, si bien que sa vie est tout entière conduite par la force et la douceur de ce même Esprit Saint. « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très Haut te prendra sous son ombre » : cela ne vaut pas seulement pour la naissance virginale de Jésus, mais cela vaut pour l’existence tout entière de Marie. Sans cesse, la puissance du Très Haut la prend sous son ombre, comme la nuée lumineuse habitait jadis le Saint des Saints du Temple, et cette même puissance la fait vouloir, juger, agir totalement selon Dieu et dans l’obéissance à sa volonté. Il n’est donc pas étonnant que cet Esprit, uni à son esprit, transfigure son âme (c’est l’Immaculée Conception) et finalement son corps (c’est l’Assomption), en passant par sa féminité (c’est la conception virginale) et sa sensibilité (c’est la compassion de Marie, que nous fêtons le 15 septembre). Dans le texte de saint Paul, nous trouvons une phrase difficile, traduite ainsi : « [grâce à l’Esprit Saint], nous comparons entre elles les réalités spirituelles ». On pourrait dire aussi : « nous exprimons en termes spirituels des réalités spirituelles ». En fait, ce texte s’éclaire par la dernière phrase : « Qui a connu la pensée du Seigneur, pour lui faire la leçon ? Eh bien nous l’avons, nous la pensée du Christ ! »
Marie, et tous les saints dans la mesure où ils ont été saints, ont examiné toutes choses dans le Christ, avec la pensée du Christ, à la lumière de la Parole du Christ. Et cette capacité leur a été donnée par l’Esprit Saint présent en eux. Comme ils étaient humbles et obéissants, cette lumière n’a pas seulement pénétré leur intelligence, elle a inspiré leur action. Ils ont pensé juste, voulu juste, agi juste : c’est pourquoi leur vie a porté du fruit à raison de trente, soixante, cent pour un. Dans un monde où l’esprit du monde cherche à régner sans partage, nous ne pouvons rien demander de plus grand pour nous-mêmes.