Homélie pour la confirmation des adultes Pentecôte 2021
Cathédrale Saint-Louis de Blois
Au centre de ce dimanche de Pentecôte se trouve une ville : la ville de Jérusalem, celle où Jésus est monté pour donner sa vie sur la croix et ressusciter le troisième jour.
Jérusalem est, à l’époque de Jésus, une ville de pèlerinage. On y monte pour les fêtes de pèlerinage, dont la plus importante est la Pâque.
Mais à partir de l’événement de la Pentecôte, Jérusalem ne sera plus d’abord la ville où l’on se rend pour rencontrer Dieu : elle deviendra la ville d’où l’on part pour répandre l’Évangile. Le lieu du rassemblement du peuple juif autour du Temple deviendra le lieu du rayonnement universel de la Parole de Dieu. C’est la gloire de Jérusalem et c’est aussi son drame, car une majorité écrasante d’êtres humains de diverses religions se réclament de Jérusalem. Jérusalem est un symbole qui n’a vocation à être annexé par personne, afin que tous puissent y retrouver leurs sources.
À Jérusalem et dans le monde entier, les juifs se rassemblent pour fêter la fête « des semaines », appelée par eux Chavouot, et par les Grecs Pentecôte, mot qui signifie « le cinquantième jour ».
Il s’agit du cinquantième jour après la Pâque. La Pâque fait mémoire de la délivrance d’Égypte, et la Pentecôte fait mémoire de ce qui s’est passé ensuite dans le désert, au mont Sinaï : la conclusion de l’alliance entre Dieu et son peuple, et le don de la Loi par Dieu à ce peuple. L’alliance fait de Dieu et de son peuple des amis, et la Loi indique ce qu’il faut faire, comment il faut vivre pour être vraiment pour Dieu des amis. L’amitié n’est pas inconditionnelle, elle est conditionnée par l’observance des commandements. Un jour Jésus dira : « vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. »
Dans la tradition chrétienne, le cinquantième jour après la sortie d’Égypte, jour du don de la Loi, va devenir le cinquantième jour après la résurrection, jour du don de l’Esprit.
Le rapport entre le don de la Loi et le don de l’Esprit ne nous saute peut-être pas aux yeux, et pourtant il est fondamental.
En effet, autre chose est de savoir ce qu’il faut faire pour être amis de Dieu (c’est le rôle de la Loi de nous le dire), autre chose de réussir à le faire. Sans cesse, nous nous en découvrons incapables : et c’est de cet « antagonisme », de cette opposition entre la chair et l’esprit, que nous parle saint Paul au chapitre 5 de l’épître aux Galates. La « chair » dans le langage du Nouveau Testament, ce n’est pas le corps, encore moins la sexualité, mais c’est l’humanité livrée à ses seules ressources, et qui fait l’expérience de sa fragilité et de sa versatilité. Ce qui résoudra cette opposition, cet antagonisme, c’est précisément le don de l’Esprit Saint : il parachèvera notre délivrance en mettant fin à l’affrontement qui, dit saint Paul, nous empêche « de faire tout ce que nous voulons ». Car nous voulons bien plaire à Dieu et ne pas le décevoir, mais sans cesse nous faisons le contraire. C’est pourquoi l’Esprit Saint est Esprit de liberté : il nous arrache au déterminisme de la chair et du péché et nous guide pour accomplir ce qui plaît à Dieu. Saint Paul résume cela à la fin du texte en une belle formule : « Puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit ». On traduit aussi : « Puisque l’Esprit est notre vie, laissons-nous conduire par l’Esprit ». C’est simple et difficile, car il ne s’agit pas de « faire », mais d’abord de se « laisser faire », et nous avons souvent beaucoup de mal à nous laisser faire quand l’Esprit nous suggère des choses qui vont contre nos réactions spontanées !
Pourtant, il est possible de se laisser conduire par l’Esprit. Les preuves que c’est possible sont disponibles à foison : saint Paul les appelle « le fruit de l’Esprit », en une belle comparaison. Nous sommes un peu comparables à des arbres fruitiers, à propos desquels on peut dire : « on juge l’arbre à ses fruits ». Et les fruits, si nous nous laissons conduire, c’est la sainteté de vie qui résulte de la conduite de l’Esprit. Si nous prolongeons la comparaison de l’arbre, nous pouvons dire que les dons du Saint-Esprit sont comme les racines qui nous permettent de recevoir tout ce qui nous est nécessaire pour vivre en enfants de Dieu, et que les feuilles et les fruits sont l’attestation de la fécondité d’une vie vécue selon l’Esprit. Fécondité multiple, répétons-le : on le voit bien dans la liste que nous propose saint Paul, une liste qui pourrait être prolongée presque à l’infini, et dont la diversité des saints et des saintes tout au long de l’histoire chrétienne nous montre l’extraordinaire variété et le goût succulent.
On se tromperait si on voyait dans la Pentecôte une révélation de plus sur Dieu, une connaissance supplémentaire – car Dieu nous a déjà tout dit dans le Christ. L’Esprit Saint ne nous apprend rien de plus, mais il nous ouvre toujours davantage à ce que le Christ nous a déjà dit : « il vous conduira, dit Jésus, dans la vérité tout entière ».
C’est pourquoi, quand l’Esprit Saint descend sur les disciples en se partageant en langues de feu, le texte ne nous dit pas qu’il les « éclaire », mais bien plutôt qu’il les remplit. L’Esprit Saint n’ajoute rien, mais il nous comble par sa présence et nous fait goûter toujours davantage la Parole et la présence du Christ vivant en nous. C’est une plénitude qui fait de notre vie une vie nouvelle.
La grâce que je vous souhaite aujourd’hui, chers confirmands, c’est de laisser vraiment l’Esprit Saint vous parler « dans votre propre dialecte », comme il l’a fait pour ceux qui étaient à Jérusalem le jour de la Pentecôte. Votre « dialecte », c’est le secret de votre vie, les besoins qui vous sont propres, les lieux de conversion où le Seigneur vous attend, le fruit qu’il veut que vous portiez pour son règne, l’amour dont il vous veut les témoins. Laissez simplement agir Celui qui vous est donné aujourd’hui, sans lui opposer d’obstacles : pour que l’Esprit vous fasse vivre, laissez-vous conduire par l’Esprit.
† Jean-Pierre Batut