Homélie du dimanche des Rameaux 2020
Cathédrale de Blois
Il y a deux volets, deux moments, dans la célébration du dimanche des Rameaux : un moment de gloire et un moment d’humiliation, un moment de triomphe et un moment de rejet, un moment de lumière et un moment de ténèbres.
C’est aussi comme un raccourci de toute vie humaine qui connaît des moments de bonheur et des moments d’épreuve, et dont le dernier moment est celui de la mort.
Mais dans l’existence de Jésus, il y a quelque chose de décisif qui fait le lien entre le moment de triomphe et le moment de ténèbres, c’est son amour pour nous. Pour lui en effet, le passage du triomphe au rejet n’est pas une succession de bonne et de mauvaise fortune : c’est le fruit d’un choix délibéré d’aller jusqu’au bout dans l’œuvre que le Père lui a donné à accomplir – décision irrévocable prise dans la grande prière de Gethsémani.
Chez nous, ce lien entre les moments heureux et les moments malheureux est bien moins évident : dans les moments de bonheur nous oublions souvent de rendre grâce, et dans les moments d’épreuve nous sommes tentés d’oublier de nous tourner vers Dieu.
La dernière parole de Jésus sur la croix atteste que l’ensemble de sa vie a été tourné vers Dieu, a été une offrande au Père, et cela même alors qu’il reprend à son compte la prière de tout le genre humain : « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (psaume 21). De même en effet qu’il a prié le Père alors que les foules l’acclamaient, de même il continue à le prier alors que l’humanité entière le rejette.
Dans sa bouche, la parole « mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » n’est pas une parole de désespérance : le désespoir, en effet, nous sépare de Dieu. C’est le premier verset d’un psaume exprimant l’extrême détresse d’un homme à qui Dieu ne répond plus, mais qui continue cependant à croire en Lui et à crier vers Lui. Cette prière menée jusqu’au bout envers et contre tout obtient l’impossible. Une brèche s’ouvre dans le mur infranchissable de la mort, Dieu répond en redonnant la vie, les bêtes féroces qui se pressaient autour du priant deviennent les frères réunis dans l’assemblée liturgique : « je proclame ton Nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée ».
En s’enfonçant librement dans les ténèbres de la mort, Jésus a brisé le mur étanche qui sépare la joie et la peine, la vie et la mort, la lumière et les ténèbres. Et c’est l’amour de Dieu qui l’habite tout entier qui lui a permis de briser ce mur.
Dans quelques jours, le Vendredi Saint, nous réentendrons le cri « pourquoi m’as-tu abandonné ? » Mais un grand retournement se sera opéré : ce n’est plus nous qui crierons vers Dieu, c’est Jésus qui criera vers nous en nous disant « mon peuple, que t’ai-je fait ? en quoi t’ai-je contristé ? réponds-moi ! » Alors, nous comprendrons mieux que lorsque nous sommes dans l’épreuve, ce n’est pas parce que Dieu a voulu nous y mettre, mais bien plutôt parce que nous nous sommes éloignés de lui. Ce qui blesse notre humanité et qui la pousse à se révolter contre Dieu ne vient pas de Dieu : cela devrait nous conduire à prêter l’oreille à l’appel qu’il nous adresse à revenir à Lui.
Si nous comprenons cela, la succession de la Semaine Sainte se retournera. Au lieu que la gloire soit au début et la détresse et la mort à la fin, la détresse et la mort que Jésus a subies pour nous aboutiront à la gloire et au triomphe de Pâques, qui se communiquera à nous. Car ce n’est pas une continuité de gloire humaine, que la mort vient toujours interrompre : c’est la continuité de l’amour, qui est vainqueur de la mort.
Seigneur, tu as voulu être acclamé par les foules en entrant à Jérusalem, puis être jugé, condamné et mis à mort avec toutes les apparences de l’échec. Mais parce que tout cela était le fruit de ton amour pour nous, ta mort nous a ouvert le passage vers la vie. Accorde-nous de vivre selon cette même logique d’amour, pour nous-mêmes et tous nos frères humains éprouvés en ce moment avec nous et, pour beaucoup d’entre eux, encore plus que nous. Que notre intercession se joigne à la tienne, à la grande prière que tu as élevée vers le Père et qui a sauvé le monde à jamais.