Retour sur l'espérance
C’est une tradition pour les évêques de France de publier un document avant les élections présidentielles. J’ai déjà eu l’occasion m’exprimer le mois dernier sur celui qui est proposé cette année (intitulé L’espérance ne déçoit pas), mais c’était avant sa mise en vente : c’est pourquoi je reviens aujourd’hui sur ce sujet.
Pourquoi cette tradition de publier un tel document ? C’est d’abord un texte destiné aux candidats, et qui est envoyé à chacun d’eux personnellement. Il est en effet légitime et nécessaire, quelles que soient leurs options personnelles, qu’ils connaissent les préoccupations des catholiques sur les sujets majeurs de notre société ; peut-être aussi, et même sans doute, sur des sujets qu’eux-mêmes, en tant que candidats, ne considèrent pas comme majeurs. Car pour le dire clairement, les questions à se poser dans notre pays ne se réduisent pas au pouvoir d’achat ou à la maîtrise des changements climatiques, même si ces questions sont graves et parfois vitales. Les religions en général, et la religion catholique en particulier, invitent à opérer des déplacements de perspective : elles soulèvent la question du sens, qu’on pourrait être tenté de mettre sous le tapis en la renvoyant aux préférences individuelles et en oubliant qu’une société qui ne se demande pas où elle veut aller est une société qui ne mérite pas de survivre.
Par le fait même, le texte ne s’adresse pas qu’aux candidats, mais à tout citoyen et à toute personne de bonne volonté. Le titre L’espérance ne déçoit pas, emprunté à saint Paul (Romains 5, 5), n’a pas été choisi au hasard. Comme le dit Mgr de Moulins-Beaufort, « nos sociétés occidentales sont inquiètes, habitées de peurs… Les motifs d’inquiétude sont nombreux et valent la peine d’être nommés et considérés. Proclamer notre espérance, au nom de notre foi chrétienne, c’est rappeler que la destinée de l’humanité ne s’arrête pas à la crise humanitaire, sanitaire et écologique… C’est aussi rappeler que la vie sociale est fondée sur le choix de vivre ensemble dans la paix et qu’une élection présidentielle est l’occasion de renouveler ce choix. »
Allons plus loin. Le philosophe Emmanuel Kant résumait tout le questionnement humain par trois questions fondamentales : que pouvons-nous connaître ? que devons-nous faire ? que nous est-il permis d’espérer ? La première question touche notre capacité de comprendre le monde, la seconde notre appréhension du bien et du mal et nos décisions morales, et la troisième notre destinée ultime, par-delà la limite de la mort. Non seulement la foi chrétienne apporte des réponses spécifiques à chacune de ces trois questions, mais elle nous rappelle aussi, que nous soyons croyants ou non, que nous ne pouvons en négliger aucune. C’est d’ailleurs pour cette raison que Kant les récapitule dans une seule interrogation : « qu’est-ce que l’homme ? » Nous constatons aujourd’hui des divergences de plus en plus profondes sur la manière de nous comprendre comme êtres humains. Pour que ces divergences ne se creusent pas plus encore jusqu’à des oppositions irréconciliables, engendrant des condamnations et des guerres sans merci, il nous faut absolument apprendre à nous écouter sans complaisance et avec un total respect. C’est le but de la politique, au sens le plus noble du terme.