Notre pays — Diocèse de Blois

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Chronique du vendredi 22 avril 2022

C’est une banalité de dire que notre pays ne va pas bien, et le fait qu’il ne soit pas seul à aller mal ne saurait être une consolation. Il ne va pas bien moralement, il ne va pas bien institutionnellement. Sa vie politique se démarque de plus en plus des institutions qui sont censées la réguler. L’élection du président de la République devient un instrument de protestation contre le pouvoir plus que de délégation de pouvoir. C’est un indice parmi d’autres d’une manière nouvelle et inquiétante de vivre les conflits : avec l’aide des réseaux sociaux où tous les coups paraissent permis, les détestations se moquent de la bienséance et vont parfois jusqu’à s’affranchir des lois elles-mêmes, dégénérant en condamnations à l’emporte-pièce, quand ce n’est pas en insultes et en discours de haine.

Trop de citoyens font usage de leur droit de vote au moment des élections présidentielles pour protester contre ce qu’il est convenu d’appeler le « système », alors qu’il n’est rien de moins systématique qu’une société humaine avec ses complexités. Qu’importe : on vote pour protester, après quoi on vote pour « faire barrage », c’est-à-dire pour neutraliser les conséquences de sa protestation antérieure. Selon la formule convenue, « au premier tour on choisit, et au second on élimine. » Dès lors, qui s’étonnera qu’à peine la période électorale passée, on retourne bien vite à la protestation et qu’on fasse tout pour empêcher d’agir ceux que l’on a élus ? C’est le retour des « bonnets rouges », des « zadistes », des « gilets jaunes » et autres « antivax » et disciples en tous genres de tribuns et de charlatans de rencontre. Jusqu’à la prochaine échéance électorale où le même processus recommencera, un peu plus aggravé encore que la fois précédente dans un corps social un peu plus délité.

Les institutions humaines sont à la fois le garde-fou et le produit de l’humanité. En tant qu’elles sont produites, elles manifestent notre génie et notre capacité de sociabilité, voire de fraternité. En tant qu’elles sont un garde-fou, elles mettent en lumière notre versatilité et leur propre fragilité, toujours à la merci des coups que nous leur portons dans des comportements auto-destructeurs. Mais « s’il n’y a plus de représentation, écrit l’auteur des réflexions qui m’inspirent cette chronique [1], s’il n’y a plus de médiations, l’alternative est soit le vide, soit la confrontation dans la rue, sur les ronds-points et non dans les assemblées [régulièrement] élues ; sur les réseaux sociaux, et non dans l’espace de discussion et de confrontation organisé par les professionnels de l’information ». Ajoutons aussi : par ceux qui ont mission d’élever les débats et de placer les citoyens devant les grandes questions philosophiques auxquelles personne ne peut échapper. Afin que la parole, créatrice de liens, ne soit pas remplacée par la violence aveugle et surtout désespérée.

Quand donc nos politiques aborderont-ils la question du sens ? Quand donc cesseront-ils de ne parler que du pouvoir d’achat et de s’écharper sur des programmes sans âme ? Peut-être quand ils auront cessé de parler et d’agir comme si le sens n’intéressait pas leurs électeurs. Ce moment pourrait être plus proche qu’on ne le pense ; mais en attendant, le débat de l’entre-deux-tours est révélateur par les sujets qu’il passe sous silence plus encore que par ceux qu’il aborde.

 

[1] Dominique Reynié, politologue, dans Le Monde du 29 avril 2022, p. 5.

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