Le crépi et le feu
Le prophète Ézéchiel, qui vivait au VIe siècle avant le Christ, s’en est pris à tous les faux prophètes qui sévissaient de son temps : vous savez, ces gens qu’on rencontre à toute époque, qui se vantent d’avoir des solutions pour tout, mais qui ne s’attaquent qu’aux apparences. Pour caractériser les fausses solutions proposées par ces faux prophètes, Ézéchiel utilise l’image du crépi. Je le cite : « Ils égarent mon peuple en disant : "Paix !" alors qu’il n’y a pas de paix. Tandis qu’il bâtit une muraille, les voici qui la couvrent de crépi… Eh bien ! ainsi parle le Seigneur : "J’abattrai le mur que vous aurez couvert de crépi, il tombera et vous périrez sous lui !" » (Ez 13, 10…13-14). Enduire un mur de crépi a du sens si le mur est solidement bâti ; mais si le mur est rempli de failles et de trous, le crépi n’est qu’une illusion, un cache-misère. Ainsi en est-il de ces experts en fausses solutions qui, dans la société, dans l’Église ou dans nos relations quotidiennes, s’y entendent pour enfumer les autres ! Crépi ou fumée, le but est toujours le même : empêcher de voir le réel et entretenir l’illusion qu’on a trouvé des réponses. Le mur couvert de crépi est bien lisse et paraît refait à neuf, mais derrière cette apparence il n’y a que ruine et désolation.
Une autre image vient contrebalancer celle du crépi : celle qu’utilise saint Jean de la Croix dans la Nuit obscure pour faire comprendre comment Dieu agit en nous. Cette image est celle de la bûche qu’on met dans le feu. Comme la bûche est humide, elle a l’air de tenir le feu en échec. Mais le feu prend son temps : patiemment il sèche la bûche, il en fait sortir l’eau dont elle était gorgée, il en fait partir toutes les impuretés. « Et finalement, poursuit Jean de la Croix, commençant à l’enflammer par dehors et à l’échauffer, il en arrive à la transformer en lui et à la rendre aussi belle que le feu lui-même » (Nuit obscure II, 10). C’est à partir de l’intérieur, du foyer qui a été allumé en elle, que la bûche finit par être embrasée tout entière.
Le crépi fait semblant de conserver alors qu’il se contente de cacher ; le feu paraît détruire alors qu’il purifie ce qu’il porte à incandescence et finit par l’identifier à lui-même. Le crépi maquille l’apparence, le feu transforme la substance. Les deux comparaisons nous aident à mieux comprendre comment Dieu agit en nous : il démasque les faux semblants, et si nous nous laissons faire il nous transforme de l’intérieur pour nous embraser de son amour et de sa vérité. Qu’il a-t-il de mieux, en définitive, pour lutter contre l’hypocrisie qui gangrène notre humanité, que de nous laisser habiter par le feu de son Esprit ?