Elle n'avait pas peur
La grande peur de l’an Mil n’est qu’une légende colportée, semble-t-il, au XIXe siècle
par Michelet qui voyait dans le Moyen Âge une époque d’obscurantisme et de
régression vers des superstitions en tout genre. À propos de l’an Mil, il écrivait :
« Cette fin d’un monde si triste était tout ensemble l’espoir et l’effroi du Moyen Âge…
C’est l’image de ce pauvre monde sans espoir : malheur sur malheur, ruine sur ruine.
Il fallait qu’il vînt autre chose et on l’attendait. » Ce que ces propos démontrent, c’est
que Michelet s’était complètement mépris sur les siècles de foi que stigmatise encore
aujourd’hui l’appellation dépréciative de « Moyen Âge ».
La peur du passage de l’an 2000 vers le troisième millénaire n’est pas, au contraire,
une histoire inventée : elle s’est bel et bien produite. Cela montre que l’humanité
actuelle est habitée par des angoisses plus puissantes que celles de nos ancêtres, parce
que plus indéterminées que les leurs. Dans les siècles de foi, on avait peur du jugement
de Dieu, mais cette peur était tempérée d’espérance en sa miséricorde. Aujourd’hui, on
a mis Dieu au placard et le résultat est qu’on a peur de tout : des diverses crises
économiques et monétaires, du chômage et de l’exclusion, des migrants et de la guerre,
des coupures de courant et de la sixième extinction massive... Le pire paraît toujours
sûr.
À l’époque où vivait Marie, dans le village de Nazareth comme dans tout le pays des
juifs, on venait aussi de vivre le passage d’un millénaire à l’autre. Bien entendu on ne
le savait pas, mais on savait que le plus sûr n’était pas le pire mais le meilleur. Cette
époque avait pourtant autant de raisons que la nôtre d’avoir peur du lendemain : on
vivait dans un pays opprimé et livré à l’arbitraire du vainqueur. Pourtant, tout le
monde était dans l’espérance : c’était l’attente de Celui que Dieu avait promis, cette
« force de salut » qui naîtrait « dans la maison de David son serviteur » comme dit le
cantique de Zacharie, père de Jean-Baptiste. Ce n’était pas l’attente des grands, mais
celle des petits et des humbles. C’était l’attente de Marie.
C’est pour cette raison que Marie est la grande figure de l’Avent. Marie n’a pas peur,
car elle attend. Marie n’a pas peur, car elle met en Dieu sa confiance. Et l’Église, notre
pauvre Église si éprouvée et si décriée, restera toujours le peuple de l’attente. Dans la
nuit de ce monde, figurée par le raccourcissement des journées de décembre, elle garde
allumée la lampe de l’attente et indomptable la joie de l’espérance. Cette attitude lui
est enseignée par Marie, à la fois membre et Mère de l’Église. Marie qui a espéré
contre toute espérance de Nazareth à la croix. Marie l’Immaculée, qui guide et soutient
l’espérance du peuple de Dieu encore en chemin.