Deux femmes, deux livres
On ne compte plus les livres de femmes qui écrivent sur la condition féminine. Certaines d’entre elles se risquent à inclure dans leurs analyses le christianisme et la condition des femmes dans l’Église. Le résultat peut être très différent selon que l’essayiste a une idée théologique ou seulement sociologique de la nature de l’Église. On peut parfois aboutir à une incompréhension totale.
Il n’en va pas ainsi des deux livres dont je veux vous parler cette semaine, parce qu’ils sont écrits par des femmes de foi, même si elles représentent deux visions assez différentes. La première de ces deux femmes est une bibliste bien connue, de surcroît agrégée des Lettres et docteur en Sciences des religions : il s’agit d’Anne-Marie Pelletier. Dans une étude serrée parue au Cerf en 2019 et intitulée L’Église, des femmes avec des hommes, Anne-Marie Pelletier prend d’abord acte des brèches qui ont été ouvertes au XXe siècle, et surtout depuis le concile Vatican II, dans le discours ecclésial sur la place des femmes. Parmi les papes, elle cite en particulier saint Jean-Paul II, Benoît XVI et bien sûr François. Mais elle constate que les changements opérés dans le discours sur les femmes n’ont pas produit pour le moment de véritable partage de parole et de responsabilité « en vue de l’édification de la communauté », invitant à se méfier en particulier des discours qui magnifient trop facilement une image abstraite de la femme, tout en s’accommodant de la mise à l’écart des personnes concrètes dans la vie ecclésiale. C’est la rançon d’une réflexion sur les femmes produite par des hommes qui se sont autorisés à penser et à légiférer pour elles, c’est-à-dire à leur place. La césure historique de l’encyclique Humanae Vitae en est pour elle une illustration douloureuse, en même temps qu’une date importante pour la distance prise par de nombreuses femmes par rapport à l’Église.
En des pages brillantes, Anne-Marie Pelletier propose ensuite une lecture de grands textes bibliques, à commencer par celui de la création où Dieu fait surgir l’Humain avant de distinguer les sexes. On remarquera aussi son insistance sur la présence et le rôle des femmes dans l’entourage de Jésus, ainsi que son analyse de la parole de saint Paul « il n’y a plus l’homme et la femme » (Galates 3, 28), parole qui n’élimine en rien la distinction mais qui proclame, bien au contraire, la fin de l’inimitié et de la domination. Enfin, dans des chapitres inspirants, Anne-Marie Pelletier met en garde contre la traduction des revendications en termes de pouvoir ou de partage de pouvoir : il s’agit de bien autre chose, de prendre conscience de la manière dont les femmes, à partir de leur manière propre d’appréhender la vie, savent exprimer Dieu.
Le second livre, plus concis, est tout aussi inspirant. On le doit à Sandra Bureau, vierge consacrée et docteur en théologie elle aussi. Son titre dit son intention : Église de Marie, Église de Pierre (édité par Mame en 2021). Dans l’Église, le ministère pétrinien, exercé par des hommes à la suite de Pierre et des autres apôtres, ne va pas sans son correspondant féminin, dont la source est en Marie. Comme au Cénacle, l’homme et la femme n’ont pas vocation à être face à face, mais bien côte à côte pour que l’Église soit telle que le Christ la veut. Mais ce seront toujours les femmes qui apprendront aux hommes à être vraiment membres de l’Épouse qui dit son oui à l’Époux.