De quoi Jésus a-t-il eu peur ?
À Gethsémani, Jésus a connu « l’effroi et l’angoisse » nous dit l’évangile de Marc, ainsi que « l’agonie » selon l’évangile de Luc. Jésus a donc eu peur. De quoi a-t-il eu peur ? Sans aucun doute de la souffrance et de la mort qui l’attendaient dans les heures qui allaient suivre. Pourtant, dire cela, ce n’est pas aller assez loin dans le mystère de Gethsémani, et cela pour deux raisons au moins :
D’abord, l’effroi ressenti par Jésus devant la mort est bien plus profond que le nôtre. En effet, par toute une part de nous-mêmes nous avons une complicité avec la mort car nous sommes pécheurs. Pour Jésus, la mort est le contraire de ce qu’il est : il est la Vie ! La souffrance et la mort sont totalement étrangères à sa nature.
Mais surtout, l’effroi de Jésus a porté sur autre chose de plus mystérieux et de plus angoissant encore. Plus que le don de sa propre vie, ce qui lui a fait peur est que ce don puisse ne pas être reçu. Car ce don est le plus grand et le dernier que Dieu peut nous faire : au-delà de son propre Fils, il n’a plus rien à donner, et si pour notre malheur nous refusons ce don, nous sommes perdus pour toujours.
« Mon âme est triste à mourir » dit Jésus (Mt 26, 38) : l’agonie est un combat avec une autre forme de mort qu’on peut appeler la « mort de tristesse ». Comme l’a écrit un théologien contemporain, « ce n’est pas la perspective de la mort qui provoque l’agonie de Jésus, mais sa possible inutilité en ceux pour qui il se livre. »
Il est utile d’évaluer nos propres peurs à l’aune de cette peur. Car notre monde est un monde qui a peur, et son manque de courage se traduit dans sa peur panique de la mort. Lorsque des États sont contraints de s’engager dans des conflits, ils ne veulent pas courir le risque d’un seul soldat tué, alors que ceux qui nous veulent du mal sont prêts à mourir et même à se donner la mort pour tuer et détruire le plus possible. Si bien que la partie n’est pas égale entre ceux qui ne veulent mourir à aucun prix et ceux qui vont jusqu’à regarder la mort comme un but désirable qui fera d’eux des « martyrs ». Mais songeons surtout que si certains jeunes gens sont prêts à mourir pour n’importe quoi, c’est parce qu’ils étaient d’abord à la recherche de raisons de vivre et qu’on ne leur en a pas donné.
Jésus est venu dans le monde avec une raison de vivre et une raison de mourir : l’amour infini qu’il partage avec le Père pour toute l’humanité qui s’en va à sa perte. Et la seule peur qu’il connaît est que cet amour soit méconnu, que cette parole de vie ne soit pas reçue. C’est sa seule tristesse. « Il n’y a qu’une tristesse, écrivait Léon Bloy, c’est de n’être pas des saints » : c’est de n’avoir peur que pour notre vie d’ici-bas, et d’oublier les vraies raisons de vivre et de donner sa vie que Jésus nous a enseignées.