Pourquoi des passeurs ?
27 morts et deux survivants : tel est le bilan du drame qui s’est produit dans la Manche ce mercredi, alors que des migrants tentaient la traversée sur une embarcation de fortune. Aussitôt, du côté anglais comme du côté français, on a pu entendre des propos indignés contre les passeurs auxquels les migrants ont eu recours, désignés comme responsables de cette hécatombe et des hécatombes à venir.
Les passeurs sont certes souvent des meurtriers en puissance, mus par le seul désir de gagner le plus d’argent possible au mépris de la sécurité la plus élémentaire des personnes auxquelles ils extorquent cet argent. Il faut donc les rechercher et les punir. Mais il est un peu trop facile de rejeter sur eux l’entière responsabilité des drames récurrents dont nous sommes témoins. Pourquoi, en effet, y a-t-il des passeurs dont l’activité prospère ? La réponse est simple : il y a des passeurs parce qu’on multiplie les obstacles administratifs et policiers pour empêcher les migrations.
Je sais à quel point ce problème est délicat, surtout en période électorale où les gouvernants sont tentés de glaner des voix en tenant des propos sécuritaires. Gardons-nous cependant d’oublier que la grande majorité des migrants n’ont pas choisi de quitter leur pays : ils y ont été contraints par des conditions de vie inacceptables, parfois aussi par des persécutions politiques ou religieuses. La migration peut être un appel, comme pour Abraham, mais pour des millions de nos contemporains elle est une nécessité et un dernier recours pour survivre.
Les papes récents ont rappelé avec force qu’il existait un droit de ne pas migrer, droit que tout être humain devrait pouvoir exercer : « Personne, dit le Pape François, ne devait être obligé de fuir son pays ». Encore faut-il pour cela que sa sécurité et des conditions de vie dignes lui soient garanties chez lui. Parallèlement, nos pays ont le devoir, toujours selon le Pape, « d’évaluer avec prudence leur capacité d’accueil et d’intégration ». Mais cela ne leur donne pas le droit de rejeter systématiquement ceux qui frappent à leur porte à la recherche d’une vie meilleure. C’est pourquoi la question migratoire mérite mieux que des gesticulations ou des propos à finalité électorale : « La dignité de nos peuples exige des couloirs sûrs pour les migrants et les réfugiés afin qu’ils puissent se déplacer sans crainte des zones mortelles vers des zones plus sûres. Il est inacceptable de décourager l’immigration en laissant des centaines de migrants mourir lors de traversées maritimes périlleuses ou de périples dans le désert. Le Seigneur nous demandera des comptes pour chacun de ces morts. »*
* François, Un temps pour changer, p. 170-171