Peut-on « historiciser le mal? »
Les éditions Fayard viennent de publier une énorme édition critique de l’écrit programmatique de Hitler, Mein Kampf – en français « Mon combat ». Il s’agit là d’un travail scientifique très rigoureux, et on peut s’étonner que certains aient trouvé à redire à ce projet, d’autant que 5000 exemplaires par an d’une édition de propagande sans introduction ni notes se vendent déjà chaque année, si l’on en croit les spécialistes – sans compter tout ce qui circule gratuitement sur internet.
Cette suspicion de principe attachée à une entreprise éditoriale oblige la maison Fayard à recourir à toutes sortes de précautions pour justifier son audace. L’une d’entre elles consiste à transformer Mein Kampf en simple sous-titre, le titre officiel de l’ouvrage devenant Historiciser le mal.
C’est cette expression que je voudrais interroger car elle me paraît un peu étrange, et pour tout dire contestable. Je suppose que le mot « historiciser » signifie replacer dans l’histoire, avec son enchaînement des causes et des effets. Mais précisément : s’il est possible de contextualiser des événements ou des personnages, peut-on réaliser la même opération avec le mal lui-même ? Seul l’être humain, à strictement parler, est capable de faire le mal et de pactiser avec lui. Comment l’histoire pourrait-elle rendre compte de ce mystère de ténèbres ?
Derrière l’expression « historiciser le mal », je soupçonne la persistance de l’illusion d’arriver à en rendre compte de manière rationnelle. Ceux qui font le mal seraient ainsi le produit d’une époque, ou d’une classe sociale, ou d’un contexte économique qui expliquerait pratiquement tout. Cette vision réductrice, jadis défendue par les marxistes, est extrêmement dangereuse. Elle aboutit toujours à une réécriture de l’histoire – réécriture à laquelle tous les régimes totalitaires se sont adonnés sans vergogne.
Les assassins, comme les saints, surgissent on ne sait d’où. Mais la bonne nouvelle, c’est que là où les assassins semblent jouir d’un pouvoir illimité, les saints sont présents et leur tiennent tête. Dans l’Allemagne nazie, il y a eu Edith Stein, Dietrich Bonhoeffer, Hans et Sophie Scholl, Maximilien Kolbe, et bien d’autres. Là où des hommes pactisent avec le mal, d’autres hommes se laissent conduire par l’Esprit jusqu’à donner leur vie pour leurs compagnons d’infortune et pour leurs bourreaux eux-mêmes. Au pacte avec le mal et avec le Mauvais répond l’alliance avec le Dieu sauveur.