Jamais deux sans trois
Le Dieu de la foi chrétienne, c’est un Père et un Fils. Tout le monde peut comprendre que l’un ne va pas sans l’autre : s’il n’avait pas de Fils, le Père ne pourrait pas être Père, et inversement.
Mais nous croyons aussi que Dieu est Esprit Saint, et le temps que nous vivons entre Ascension et Pentecôte est une sorte de neuvaine d’attente de l’Esprit Saint. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Un grand théologien du Moyen-Âge, Richard de Saint-Victor, a tenté d’expliquer pourquoi l’amour n’est parfait que s’il suscite un troisième que les deux premiers aiment ensemble et qui est en quelque sorte la personnification de leur amour. Il s’inspirait en cela de l’analogie de la famille : un homme et une femme s’aiment, et cet amour est si fort qu’il devient un troisième, l’enfant, qui sera désormais comme le sceau de leur amour.
Comparaison n’est certes pas raison, mais il y a dans cette pensée une vérité profonde. L’amour n’est jamais binaire, il est toujours ternaire, ou mieux trinitaire. Des adolescents immatures peuvent se regarder dans le blanc des yeux, mais leur amour aura besoin de s’élargir pour devenir un amour fécond et capable de s’inscrire dans la durée.
Une des grandes énigmes de l’histoire du salut est que Dieu semble s’ingénier à instaurer entre les êtres des dualités qui deviennent presque immanquablement des relations d’opposition ou de domination. Nous venons d’évoquer l’homme et la femme, mais on peut en dire autant du juif et du païen, à propos desquels l’épître aux Éphésiens n’hésite pas à parler d’un « mur de la haine » (2, 14) que le Christ a supprimé dans sa chair. On peut y ajouter, dans l’histoire de l’Église, une autre dualité souvent difficile à vivre et pourtant vitale, celle entre le sacerdoce baptismal et le sacerdoce ministériel. Or la foi nous enseigne que partout où Dieu établit des différences, c’est au bout du compte pour construire l’unité. Il ne distingue que pour unir, les deux termes prenant conscience qu’ils ne vont pas l’un sans l’autre et qu’ils ont chacun besoin de l’autre pour être jusqu’au bout ce qu’ils ont à être.
L’Esprit Saint est justement ce troisième, ce Tiers divin qui intervient pour qu’une telle mission, humainement impossible, se réalise. Sans lui l’Église n’est pas l’Église ; sans lui juifs et païens se livrent une guerre sans merci ; sans lui l’homme et la femme demeurent dans les impasses de leur relation conflictuelle. Bien mieux, l’Esprit Saint est en nous, comme il l’est déjà en Dieu, principe de personnalisation : c’est en Lui que le Père est tel, en lui que le Fils est tel. C’est en lui que l’homme est homme, et la femme, femme. C’est en lui enfin que l’Église en ses différents membres constitue les prémices de l’humanité réconciliée et de la création nouvelle.