Montre-moi ton visage — Diocèse de Blois

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Montre-moi ton visage

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Chronique du 15 mai 2020

« Montre-moi ton visage, car ton visage est beau » dit le Cantique des Cantiques ; « Seigneur je t’en prie, fais-moi voir ta Face » supplie Moïse sur la montagne. Parce que la religion biblique est la religion du dévoilement du visage, notre culture a toujours magnifié le visage comme lieu par excellence de révélation de la personne. On est toujours saisi d’émotion lorsque, dans ces mariages un peu « vieille France », le marié relève délicatement le voile de la mariée après l’échange des consentements : il a désormais le droit de voir son visage, il a accès à sa personne.

À l’inverse, les visages masqués suscitent instinctivement une réaction de recul. J’avoue m’être senti mal à l’aise et comme agressé la première fois que j’ai vu débarquer des touristes asiatiques qui, pour obéir aux impératifs de la lutte contre la pollution, avaient pris l’habitude de déambuler avec un masque. Les malheureux n’avaient sûrement pas de mauvaises intentions, mais, qu’on le veuille ou non, la culture du masque est celle de la méfiance et elle ne peut qu’éveiller la méfiance.

« Le visage, affirme Emmanuel Lévinas, est ce qui nous interdit de tuer. » Si jadis on bandait les yeux des condamnés à mort, c’était peut-être moins pour prévenir leur affolement que pour ne pas mettre mal à l’aise ceux qui les fusillaient. Le visage est aussi ce dont provient la parole : c’est lui qui rend possible tout discours, et son expression elle-même est un discours. Il est difficile de se taire en présence de quelqu’un : il faut parler de quelque chose, de la pluie et du beau temps peu importe, mais lui parler, lui répondre, et déjà répondre de lui. Car le visage en appelle à la responsabilité. Il ne me dit pas seulement « tu ne tueras pas », mais aussi « tu aimeras ton prochain comme toi-même », tu en es personnellement responsable. Un visage n’est pas quelque chose, il est quelqu’un.

Puisque désormais nous devrons aller masqués, nous ferons contre mauvaise fortune bon cœur. Mais si par malheur cette précaution transitoire se transformait en nouvelle manière d’exister dans nos rapports mutuels, notre humanité aurait subi une redoutable, une monstrueuse régression.

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