Le passé a-t-il un avenir ?
Le passé a-t-il un avenir ? Cette question étrange était posée par la Nouvelle République il y a quelques jours, alors qu’on venait de commémorer le quatre vingtième anniversaire de l’appel du 18 juin 1940. Sous le titre « Devoir de mémoire, quel avenir ? », notre journal régional se demandait comment les commémorations pourraient se poursuivre alors que les personnes qui y attachent de l’importance disparaissent les unes après les autres et ne sont pas remplacées. « L’intérêt s’amenuise, et on pousse un vrai cri de victoire quand on y voit encore des collégiens avec leurs professeurs », déplorait Denis Leprat, président de l’Association du Mémorial de la Résistance à Varennes. Pour enrayer ou du moins retarder ce phénomène, il proposait de « réfléchir à une mutualisation de toutes les commémorations ».
On peut se demander si une telle « mutualisation » qui réunirait pêle-mêle toutes les guerres et résistances passées serait vraiment satisfaisante. Mais surtout, cette érosion de la mémoire nous interroge sur les fondements que se donnent nos sociétés pour bâtir le fameux « vivre ensemble ». Le devoir de mémoire ne consiste pas simplement, comme le souligne fort justement Denis Leprat, à déposer une gerbe à la va-vite avant de « filer au buffet » : c’est un devoir de transmission aux générations montantes de la capacité d’admirer et du désir d’imiter des hommes et des femmes qui ne se sont pas résignés à l’oppression et au déshonneur.
Le fait de déboulonner et de détruire les statues de Victor Schoelcher à La Martinique n’est pas très rassurant sur le sens de l’histoire de beaucoup de nos contemporains, et l’éloge unanime rendu à de Gaulle quarante ans après sa mort alors qu’on l’a conspué de son vivant ne console guère non plus. C’est que l’avenir du passé ne dépend pas seulement de la connaissance qu’on doit en avoir, mais surtout de l’humilité avec lesquelles les peuples et les individus savent le regarder et en tirer les leçons pour se réformer eux-mêmes.