Le corps porte-parole de l'esprit — Diocèse de Blois

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Le corps porte-parole de l'esprit

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Chronique du 5 juin 2020

Que l’on se serre la main (ce qui est devenu impossible en ce moment), que l’on s’incline ou que l’on joigne les mains à l’asiatique pour se saluer, les différents rituels de la rencontre sont destinés à l’origine à manifester par son attitude qu’on est dépourvu d’intentions belliqueuses à l’égard de celui qu’on rencontre : la main tendue est une main désarmée. Cette attitude corporelle pacifique, en rassurant la personne rencontrée, permettra ensuite d’ouvrir un dialogue qui scellera le renoncement à l’agressivité et permettra de passer au stade supérieur et proprement humain de l’échange, de la négociation, de la confrontation des points de vue, du compromis.

Lorsque le préjugé initial est trop négatif et l’hostilité trop viscérale, il faut une attitude corporelle d’autant plus forte pour le surmonter et permettre le dialogue. C’est ainsi que dans l’Iliade d’Homère, lorsque le roi Priam va demander à Achille de lui restituer la dépouille de son fils Hector qu’Achille vient de tuer, afin de pouvoir lui rendre les honneurs funèbres, il sait qu’il lui faudra consentir à s’humilier. Alors, pour fléchir Achille et obtenir gain de cause, Priam n’hésite pas à se mettre à genoux devant lui et à lui baiser les mains avec ce commentaire : « je viens d’oser ce que nul jusqu’ici sur terre n’avait fait : à mes lèvres porter les mains du meurtrier de mes propres enfants » (Iliade, chant XXIV). Achille est à ce point interdit par cette attitude incroyable qu’il commence à écouter Priam, pour finalement céder à sa supplication et lui rendre le corps de son fils.

Le corps est le porte-parole de l’esprit. Si son langage rend possible le langage, c’est qu’il amorce le travail qui consiste à désarmer et à persuader autrui. On ne pouvait s’empêcher d’y songer en regardant les images de ces jeunes policiers américains en uniforme qui fléchissaient le genou devant les manifestants en Pennsylvanie. Ces manifestants étaient venus crier leur colère contre l’assassinat de George Floyd à Minneapolis. Nul doute qu’une attitude répressive de la part des policiers les aurait rendus plus violents encore, et qu’une tentative d’ouvrir le dialogue sans préalable se serait heurtée à un mur. Mais le simple langage corporel consistant à mettre un genou en terre a instantanément désamorcé la haine.

La liturgie, dans sa sagesse millénaire, reprend des attitudes humaines fondamentales, qui toutes consistent à s’humilier devant Dieu en lui disant : « tu es plus grand que moi ». Lorsque des humains rompus à ces attitudes les utilisent devant d’autres humains, des miracles peuvent se produire. Le corps, ce corps que Dieu a assumé dans l’incarnation de son Fils, est alors le lieu premier où se concrétise le double commandement rappelé par Jésus : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu, tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

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