Luther et Érasme, une controverse toujours actuelle
« Je n’ai jamais renié l’Église catholique. Je sais que dans cette Église, que vous appelez papiste, il y a beaucoup de gens qui me déplaisent, mais j’en vois aussi de pareils dans votre Église. On supporte plus aisément les défauts auxquels on est habitué. Par conséquent, je supporte cette Église jusqu’à ce que j’en aperçoive une qui soit meilleure, et elle est bien obligée de me supporter jusqu’à ce que je devienne meilleur moi-même[1]. »
Luther et Érasme sont des contemporains. Le premier, un religieux augustin né en 1483 et mort en 1546, est célèbre pour avoir été l’initiateur de la Réforme. Le second, lui-même chanoine de saint Augustin, est né en 1467 de l’union illégitime d’une fille de médecin et d’un prêtre, et il est mort en 1536. Beaucoup de choses les rapprochent, et beaucoup les séparent. À la différence de Luther, spontanément méfiant envers la raison et la sagesse de ce monde, Érasme est très représentatif des humanistes de la Renaissance. Il est curieux de tous les problèmes de son temps, qu’il s’agisse de l’art, de l’éducation, de la philosophie ou de la religion, dont il pense qu’elle doit s’intéresser à tout. En ce qui concerne l’Église, contre Luther qui est porté à penser que la véritable Église n’est pas de ce monde puisque l’homme, même justifié, demeure fondamentalement pécheur, Érasme est fermement attaché à une ecclésiologie – une théologie de l’Église – incarnée dans la pâte humaine. Il n’est pas moins lucide que Luther sur les maux de l’Église de son temps, mais il en tire des conséquences tout à fait différentes. Tout en posant sur cette Église un regard sans concession, notamment dans l’Éloge de la folie, Érasme croit fermement qu’elle a été voulue par le Christ et juge absurde de vouloir la réformer en se séparant d’elle.
Par voie de conséquence, Érasme n’a jamais regardé l’Église comme une réalité extérieure à lui. Il se sait porteur en lui-même d’une part de ses vertus et d’une part de son péché : « Il ne navigue pas mal, celui qui passe à distance de deux maux différents », écrit-il. Ces deux maux, ce sont d’une part les péchés de l’Église et d’autre part nos propres péchés. Il s’agit d’avancer malgré les uns et les autres, sans rejeter sur d’autres la responsabilité de ce qui va mal et devrait aller mieux.
Pour toutes ces raisons, Érasme continue à avoir des choses très importantes à dire à notre Église au XXIe siècle.
[1] Érasme, Hyperaspistes contra libellum Lutheri, 1526. « Hyperaspistes » signifie « soldat muni d’un bouclier ».