Réécriture
RÉÉCRITURE
En janvier dernier, à l’Opéra de Florence, le metteur en scène Leo Muscato a jugé opportun de réécrire le finale de Carmen, de telle sorte que ce ne soit plus Don José qui tue Carmen, mais Carmen qui tue Don José. Son motif ? « À notre époque, marquée par le fléau des violences faites aux femmes, il est inconcevable qu’on applaudisse le meurtre de l’une d’entre elles. » J’ignorais jusqu’ici, et je ne suis sans doute pas le seul, que c’était le meurtre d’une femme que nous applaudissions quand nous applaudissons le chef d’œuvre de Bizet.
Est-ce bien nous qui lisons les grandes œuvres, ou n’est-ce pas plutôt elles qui nous lisent ? « Un classique, écrit Alain Finkielkraut, est un livre dont l’aura est antérieure à la lecture. Nous n’avons pas peur qu’il nous déçoive, mais que nous le décevions en n’étant pas à la hauteur. » Cette vérité vaut par excellence pour l’Écriture Sainte : si je la lis sans me laisser lire par elle, je n’en tirerai que déception. Mais si je la laisse me lire, en me révélant Dieu elle me dira la vérité sur ma vie. C’est, me semble-t-il, le sens de la réflexion si profonde de Saint Grégoire le Grand : « en un certain sens, la sainte Écriture grandit avec ceux qui la lisent. »
Revenons à Carmen. Le fait qu’un metteur en scène ne se mette plus au service de l’œuvre, mais mette sans vergogne l’œuvre à son service pour lui faire exprimer ses propres idées, est d’une immodestie tout autre qu’anodine. Ce « dérapage » assumé avec une incroyable bonne conscience est peut-être révélateur d’une maladie spirituelle de notre époque. Une époque qui juge de tout avec la hauteur, la morgue, le mépris qu’elle croit bien mérités par les dark ages qu’elle pourfend et condamne. On ne paraît pas s’aviser que si ces époques dites non éclairées ont peut-être censuré des œuvres, interdit leur représentation, inquiété leurs auteurs, jamais elles n’ont eu l’idée de les réécrire et d’appeler cela une « transgression progressiste ». Pareille indécence ne peut procéder que d’un orgueil monstrueux, pathologique, mortifère – celui qui, mélangeant tout jusqu’à la déraison, en vient à identifier idéalisme et nihilisme.