Espérance chrétienne
ESPÉRANCE CHRÉTIENNE
À l’approche de la Toussaint et sans attendre le 2 novembre, les cimetières se sont couverts de fleurs. Cette précipitation à honorer les défunts et la confusion qu’elle engendre sur le sens de la fête de tous les saints, agacent souvent les pasteurs. Ils n’ont pas tort, car le culte des morts ne trouve son sens chrétien que s’il est éclairé par l’espérance de la vie éternelle et l’aspiration à être avec Dieu – la sainteté n’étant rien d’autre que cette communion accomplie. Mais il faut se garder de raisonner comme si le voisinage de la Toussaint était resté sans effet, au long des siècles, sur notre manière de regarder la mort : ce serait oublier que les fleurs dans les cimetières sont aussi une parure de fête et le signe d’une victoire dont on attend les effets avec confiance.
L’espérance chrétienne a une telle force qu’elle a même transformé le langage. Pour désigner le lieu où reposaient leurs morts, les païens parlaient de « nécropole », c’est-à-dire la ville des morts : un monde à part, à tout jamais séparé de celui des vivants, où se poursuivait peut-être une existence d’ombres. Nous avons un écho de cette conception dans le shéol biblique, où les âmes ne peuvent plus ni louer Dieu ni communiquer avec les vivants. À cette manière de voir les chrétiens ont opposé l’espérance de la résurrection, et ils en ont tiré les conséquences. Au lieu de la « nécropole » païenne placée à l’écart, ils ont situé autour de l’église, au milieu du village, un lieu appelé « cimetière » un mot qui littéralement signifie le « dortoir » : les morts, ou plus précisément les « défunts », c’est-à-dire ceux qui ont accompli leur vie en « s’acquittant » de leur mission sur la terre (c’est le sens du verbe latin d’où provient le mot « défunt »), ceux-là peuvent maintenant reposer en paix dans l’attente du dernier jour et du jugement de Dieu.
Oui, j’ai bien dit « jugement de Dieu ». Notre expérience humaine a abîmé le mot « jugement » en y mêlant souvent de l’injustice et de la vengeance. Mais je repense souvent à ce que disait le roi David qui avait pourtant un lourd péché sur la conscience : « Que je tombe entre les mains du Seigneur, car sa miséricorde est immense, mais que je ne tombe pas entre les mains des hommes ! » (1 Chroniques 21, 13). Le geste insensé que vient d’accomplir un jeune prêtre d’un diocèse voisin et qui endeuille notre Église atteste, une fois de plus, que les hommes sont sans miséricorde. Mais notre Dieu n’est pas ainsi : sous son regard la mort, même la plus amère, n’est jamais tout à fait sans espérance.