Chronique du 20 janvier 2017
AGRICULTURE ET SACRALITÉ DU MONDE
À la fin de la seconde guerre mondiale, il y avait en France 10 millions d’agriculteurs (qu’on appelait encore souvent « paysans », avant que ce mot ne devienne diffamatoire).
Il en reste aujourd’hui environ 900 000 pour une population de presque 67 millions d’habitants contre 40 millions à peine en 1945. Et ce qu’on appelle souvent le « désert français » (titre d’un ouvrage prémonitoire de Jean-François Gravier), n’a cessé de s’étendre.
De grands changements se sont produits avec l’exode rural vers les villes, mais aussi avec l’industrialisation de l’agriculture et de l’élevage, qui a profondément transformé le rapport à la nature et aux animaux de ceux-là mêmes qui ont choisi de rester à la campagne et d’y poursuivre leur métier d’exploitants ou d’éleveurs.
Dans l’encyclique Laudato sì sur la « sauvegarde de la maison commune », le Pape François écrit : « Quand nous insistons pour dire que l’être humain est à l’image de Dieu, cela ne doit pas nous porter à oublier que chaque créature a une fonction et qu’aucune n’est superflue. Tout l’univers matériel est un langage de l’amour de Dieu, de sa tendresse démesurée envers nous » (84). Et le Pape cite cette réflexion de Paul Ricœur : « J’explore ma propre sacralité en déchiffrant celle du monde » (Philosophie de la volonté : Finitude et culpabilité, Seuil 2009, p. 216).
Mais quelle sacralité reste encore à déchiffrer quand la technique s’empare de l’agriculture et de l’élevage, et quand tout relève du fonctionnement et de la productivité ? On dira peut-être que l’idée de sacralité n’a rien à faire dans l’agriculture. On aura tort : congédier cette sacralité, que l’on soit croyant ou non, c’est effacer la signification du rapport entre l’homme et la terre. Et effacer cette signification, c’est se retrouver soi-même sans signification : il y a donc un lien très réel entre la surexploitation de la terre et des animaux et le nombre croissant de burn out et de suicides chez les agriculteurs, les plus jeunes en particulier.
Dans son encyclique Laudato sì, dont nous n’avons pas fini d’inventorier les richesses, le Pape François appelle à une « éducation pour l’alliance entre l’humanité et l’environnement » et à une « critique des "mythes" de la modernité » tels que « individualisme, progrès indéfini, concurrence, consumérisme, marché sans règles ». Il est urgent de promouvoir une conversion écologique, car, disait déjà Benoît XVI dans l’homélie d’inauguration de son pontificat, si « les déserts extérieurs se multiplient dans notre monde, [c’est] parce que les déserts intérieurs sont devenus très grands » (24 avril 2005).