Chronique du 17 février 2017
DE L’ACTUALITÉ POLITIQUE DE SAINT IGNACE
Les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola ne sont pas le livre de chevet de beaucoup de nos contemporains. C’est dommage. Non seulement ce petit ouvrage est un chef d’œuvre de lucidité sur les tréfonds de l’âme humaine, mais il possède aussi une profondeur politique insoupçonnée, tant il est vrai que ce qui vaut pour les individus vaut aussi pour les peuples et ceux qui les éclairent ou qui, parfois, les manipulent.
Saint Ignace distingue entre le bon et le mauvais esprit, le premier travaillant pour le bien de l’homme, et le second, « ennemi du genre humain », s’ingéniant à l’acheminer vers sa perte. Dans ce qu’il appelle les « règles pour connaître et discerner les différents mouvements qui se produisent dans l’âme », saint Ignace relève que le bon esprit, pour réveiller de leur torpeur ceux qui vont de mal en pis dans leur conduite, « aiguillonne et mord leur conscience », tandis que le mauvais esprit les prive de ce qui leur restait de vigilance « pour les maintenir davantage dans leurs vices et leurs péchés ». Bref, le bon esprit inquiète, tandis que le mauvais rassure. « Je vais les mettre dans l’inquiétude pour qu’ils me cherchent », disait déjà Dieu dans l’Ancien Testament.
Transposons. « Dans un temps d’ignorance, écrivait Montesquieu, on n’a aucun doute, même lorsqu’on fait les plus grands maux ; dans un temps de lumière, on tremble encore lorsqu’on fait les plus grands biens ». Ici, nous sommes déjà dans la sphère politique. Si nous traduisons cet aphorisme en langage contemporain, nous dirons que le propre des chantres du progressisme intellectuel est leur inébranlable sûreté dogmatique, inaccessible à tout examen critique. On a pris l’habitude d’opposer aux progressistes les conservateurs, supposés être partisans de l’immobilisme et viscéralement rétifs à l’aventure du progrès. Et si c’était le contraire ? « Si conservatisme il y a aujourd’hui, écrit Alain Finkielkraut, c’est un conservatisme tragique : il ne préfère pas le tangible au possible, il s’inquiète de la fragilité, de l’évanescence, de la mortalité du tangible. Mortalité de la terre, mortalité de la beauté, mortalité de la langue, mortalité des paysages, et de la France même. Ce n’est pas le progrès en soi qui l’angoisse et le désespère, c’est, sous le nom de "progressisme", l’apologie de cette grande liquidation. » Apologie tranquille, sereine, inaccessible à toute remise en question, et prompte à ostraciser quiconque ose remettre en question sa négation obstinée du réel.
L’homme qui court à sa perte est dans le déni du réel, et le mauvais esprit, « l’ennemi du genre humain » (Ignace) déploie tous ses efforts pour le maintenir dans ce naufrage tranquille. « Vouloir rassurer, c’est toujours contribuer au pire » disait René Girard. Le bon esprit, lui, inquiète, il mord la conscience et la laisse sans repos en lui redemandant sans cesse où est le sens de sa vie. Lequel des deux esprits, cette année, dans notre pays, gagnera la partie engagée ? Voilà toute la question.