QUARANTAINE FORCÉE - QUARANTAINE OFFERTE — Diocèse de Blois

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QUARANTAINE FORCÉE - QUARANTAINE OFFERTE

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Petite méditation sur l’art et la manière
de découronner le virus

Très chers frères et sœurs du diocèse de Blois et de partout,

 

Nous venons d’entrer dans une période très étrange de notre vie collective. Le Carême est un temps de désert – en grec eremos, qui a donné le mot « ermite » ; et à cause de l’épidémie qui sévit en ce moment, nous voilà tous en passe d’être transformés en ermites pour un temps indéterminé, que nous le voulions ou non.

Un ermite est une personne qui s’est sentie appelée à être solitaire pour mieux être solidaire. Si je continue ma transposition à notre situation actuelle, cela veut dire que notre relégation forcée ne doit pas nous replier sur nous-mêmes, sur nos intérêts immédiats ou sur nos peurs, mais nous ouvrir davantage à l’Autre et aux autres, à Dieu et à notre prochain.

 

Comment faire ?

 

Pour répondre à cette question, je reprends des passages de deux préfaces de Carême : « tu offres à tes enfants ce temps de grâce pour qu’ils retrouvent la pureté du cœur… de sorte qu’en se donnant davantage à la prière, en témoignant plus d’amour pour le prochain, fidèles aux sacrements qui les ont fait renaître… »

Et je vous propose un petit commentaire de ces paroles très denses.

 

  • « Temps de grâce »

 

Oui, le temps où nous sommes n’est pas un temps de malédiction mais un temps de grâce ! Pourquoi ? Parce que depuis la venue de Dieu dans notre monde, tout temps est un temps de grâce ! Autrefois, pour parler de n’importe quelle année, on disait : « en l’an de grâce ».  Jésus est avec nous tous les jours, jusqu’à la fin du monde : tout temps, et donc ce temps particulier, est un temps de grâce. Il s’agit d’identifier et d’accueillir la grâce qu’Il nous fait en ce temps où nous sommes.

Je ne sais pas au juste quelle est cette grâce, mais je risque néanmoins une hypothèse : c’est peut-être la grâce d’apprendre à vivre autrement. Autrement que si tout allait de soi, autrement que si tout nous était dû, autrement que sur le mode individualiste, consumériste et libertaire qui nous est devenu si naturel que nous finissions par ne plus arriver à nous imaginer différents. Un journaliste disait l’autre jour sur une chaîne de radio : « Le virus, c’est la mondialisation qui se mord la queue : industrialisation à outrance, production à outrance, pollution à outrance. » J’ajouterais : croire que je suis plus libre, c’est-à-dire plus humain, en faisant ce que je veux, comme je veux, quand je veux, et en me disant que les autres n’ont qu’à en faire autant s’ils le peuvent…

« Tu offres à tes enfants ce temps de grâce pour qu’ils retrouvent la pureté du cœur. » Oui Seigneur, merci pour ce temps où ta grâce nous accompagne comme elle le fait tous les jours jusqu’à ta Venue dans la gloire. Puissions-nous, avec cette même grâce, apprendre à en déchiffrer le message aujourd’hui.

 

  • « En se donnant davantage à la prière »

 

Dans une période comme celle de l’épidémie, le temps ne s’écoule pas de la même manière que d’habitude. Il peut même paraître suspendu, comme s’il s’était arrêté... On a un peu la même impression que quand on vient de perdre un être cher : autrefois, quand une personne venait de rendre son dernier soupir dans une maison, on arrêtait symboliquement le balancier de la pendule.

Si nous sommes confinés chez nous, en télétravail ou empêchés de rien faire, si nous devons nous occuper de nos enfants (et surtout les occuper !) ou si nous sommes seuls, cherchons à rythmer nos journées avec des temps de prière, comme on le fait dans les communautés religieuses et comme nous devrions le faire si nos vies n’étaient pas si trépidantes habituellement. En cherchant à « tuer le temps », c’est nous-mêmes que nous tuons à petit feu. Au contraire, en sanctifiant le temps, c’est nous-mêmes que nous imprégnions de la présence de Dieu.

Que veut dire « sanctifier le temps » ? C’est ne pas le laisser s’écouler sans lui donner de signification. Une hymne de Carême le dit très bien : « Ne laisse pas au long du jour / nos vies manquer à ta lumière / Recharge-les du poids d’amour / qui les entraîne vers le Père. » L’amour de Dieu que ravive la prière est comme un puissant carburant qui propulse notre Terre toujours plus loin, toujours plus haut, vers la rencontre de son Seigneur. Les multiples forces contraires qui nous entraînent vers le bas peuvent, certes, entraver ce mouvement ascendant en refroidissant les cœurs, mais jamais elles ne pourront l’arrêter aussi longtemps qu’il restera des priants dans ce monde. Grâce à eux, la Terre n’est pas d’abord « la planète qu’il faut sauver », elle est l’humanité qui se hâte à la rencontre de son Sauveur, comme les dix jeunes filles de la parabole (cf. Matthieu 25, 1-13).

Vous connaissez le célèbre tableau de Millet où l’on voit des gens de la campagne s’arrêter pour réciter l’Angélus. La prière, c’est cela : c’est tout laisser, tout arrêter, ne serait-ce que quelques instants, pour se tourner vers Dieu ici et maintenant. Matin, midi et soir, récitons l’Angélus !

 

L’Ange du Seigneur apporta l’annonce à Marie

-   Et elle conçut du Saint-Esprit.                                         Je vous salue Marie…

 

Voici la Servante du Seigneur

-   Qu’il me soit fait selon ta parole.                         Je vous salue Marie…

 

Et le Verbe s’est fait chair

-   Et il a habité parmi nous.                                                Je vous salue Marie…

 

Priez pour nous, sainte Mère de Dieu

-   Afin que nous soyons rendus dignes des promesses du Christ.

 

Répands, Seigneur, ta grâce en nos cœurs.

Par le message de l’Ange, tu nous as fait connaître l’incarnation de ton Fils bien-aimé :

Conduis-nous, par sa passion et sa croix, jusqu’à la gloire de la résurrection.

Par Jésus, le Christ, notre Seigneur. Amen.

 

Notons aussi que sur de nombreux sites (par exemple aelf.org) on peut accéder à la Liturgie des Heures, avec les offices du matin (laudes), du milieu du jour (tierce, sexte et none) et du soir (vêpres et complies), et s’associer ainsi à la prière de l’Église qu’élèvent vers Dieu de façon ininterrompue les communautés monastiques, mais aussi les prêtres, les diacres et de très nombreux baptisés.

 

  • « En témoignant plus d’amour pour le prochain »

 

Les médecins nous répètent – et c’est très vrai – que nous rendons service aux autres en nous tenant à distance d’eux, surtout s’il s’agit de personnes âgées et fragiles. Mais il nous appartient de faire mentir le proverbe « loin des yeux, loin du cœur ». D’abord en nous rappelant que la prière unit, qu’elle abolit les distances. Dans le film Les visiteurs du soir, sorti en 1942, Marcel Carné met en scène un conte fantastique dans lequel le Diable envoie deux émissaires pour dévaster la terre en semant partout la discorde. Mais son entreprise est mise en échec car il ne peut rien contre deux êtres qui s’aiment : même transformés en statues de pierre, leurs cœurs continuent de battre ! Tourné sous l’Occupation, le film de Carné visait l’occupant nazi qui ne pouvait avoir prise sur les cœurs : à combien plus forte raison l’amour de Dieu sera-t-il plus fort qu’un virus, si pernicieux qu’il puisse être…

Amour et Dieu et amour du prochain sont indissolublement liés par Jésus (Matthieu 22, 37-39). Si nous prions vraiment, le souvenir de beaucoup de nos frères et de nos sœurs, les intentions qui nous ont été confiées, notre vieux voisin ou notre vieille voisine vont remonter à la surface dans notre prière. Que ferons-nous alors ? À peine aurons-nous fini de prier que nous activerons notre téléphone pour prendre des nouvelles, manifester notre amitié, notre proximité, proposer d’aller faire quelques courses pour remplir le frigidaire de telle personne, etc. Voire même nous mettre à notre bureau pour envoyer un mot, ou un courriel, à quelqu’un que nous avions négligé de joindre depuis longtemps. Plus l’amour fraternel est ravivé par la prière, et plus il se fait inventif et délicat.

À partir de là, mais seulement si nous commençons par là (car le « prochain », c’est d’abord celui qui est à côté), intercédons pour le monde entier – en particulier pour ces pays et ces continents, tel l’Afrique, où la pandémie serait encore bien plus dramatique que chez nous si par malheur elle s’y propageait aussi.

 

  • « Fidèles aux sacrements qui les ont fait renaître »

 

Voilà bien le plus compliqué ! Depuis le dimanche 15 mars, il n’est plus possible d’assister à la messe et donc de recevoir la communion, sauf en viatique. Les seules célébrations autorisées sont celles des funérailles, et encore avec une toute petite assistance…

Recevoir le sacrement de réconciliation ? Difficile peut-être, mais pas impossible. Vous pouvez toujours téléphoner à votre paroisse, aussi longtemps qu’on vous autorise à bouger. Notons que canoniquement on ne peut pas se confesser par téléphone, même si parfois certaines conversations téléphoniques (même de celles dont on fait profiter le voisinage, dans les trains par exemple…) ressemblent fort à des confessions. En tout cas, il n’est pas possible de recevoir l’absolution à distance : il faut se voir et s’entendre l’un l’autre naturellement (ni sur écran, ni par engin acoustique interposé), le confesseur et le pénitent.

 

Alors que faire ?

1/ Si vous n’avez pas encore pu vous confesser pour le Carême, faites un vrai examen de conscience et demandez pardon à Dieu du fond du cœur, avec la résolution de faire la démarche de la confession dès que ce sera possible, surtout si vous avez à vous reprocher quelque péché grave…

2/ Tous les dimanches et même tous les jours, au moyen de votre Prions en Église, ou de votre Magnificat, ou encore d’une des multiples applications de votre téléphone (le site aelf.org par exemple), méditez la Parole de Dieu et surtout l’Évangile, cette Parole qui s’est faite chair en Jésus et qui se fait Pain de vie à la messe. Dites au Seigneur, avec ferveur, votre désir de le recevoir, malgré l’impossibilité où vous êtes de communier. Cela s’appelle faire une communion spirituelle, et c’est une très belle prière de désir par laquelle le Seigneur communique aussi sa grâce. On pourrait dire que c’est une « communion de désir », comme il y a un « baptême de désir » qui, si l’on meurt avant d’être baptisé, peut même être considéré comme un vrai baptême.

 

Accessoirement, même si cela n’a rien à voir avec les sacrements, n’oubliez pas que le jeûne fait partie du Carême. Je vous propose ceci : à l’heure où, d’une façon tout à fait irrationnelle, certains vont dévaliser les supermarchés pour stocker de la nourriture, jeûnez pour demander à Dieu que nos contemporains redécouvrent que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de Sa bouche. Voilà une belle intention à offrir pour donner sens à votre jeûne !

 

 

Conclusion

« De sorte qu’en se donnant davantage à la prière,

en témoignant plus d’amour pour le prochain,

fidèles aux sacrements qui les ont fait renaître,

ils soient comblés de la grâce que tu réserves à tes fils. »

 

Le mal en général, et le Mauvais en particulier, est fort avant tout de la force que nous lui donnons sur nos vies. Chez le pécheur endurci, il est tout-puissant : le pécheur a beau se croire libre, il est tout entier commandé par les brèches qu’il a ouvertes dans sa vie et par lesquelles se sont engouffrés les péchés de toutes sortes. Il se croit maître de sa vie, et littéralement, il est possédé.

L’Esprit Saint agit de toute autre manière : il ne nous « possède » pas, car la possession annihile la liberté, il nous « habite » et nous pousse doucement, tel un beau voilier que le vent propulse, à faire ce qui plaît à Dieu. C’est cela « la grâce que Dieu réserve à ses fils ». Un commentaire de Saint Thomas d’Aquin sur la rencontre de Jésus et de la Samaritaine (Jean 4), paru dans le dernier Magnificat, le dit… magnifiquement : « La grâce de l’Esprit Saint est justement appelée eau vive, car la grâce est donnée à l’homme de telle sorte que la source même de la grâce, c’est-à-dire l’Esprit Saint, est donnéeL’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné (Romains 5, 5) ». Autrement dit : « la grâce que Dieu réserve à ses fils », ce n’est pas « quelque chose » que Dieu nous donnerait et qui serait séparable de Lui, c’est Dieu lui-même qui, par l’Esprit Saint, vient habiter le cœur et la vie de ses enfants.

 

Le fameux virus, à cause de sa forme sans doute (digne des meilleures bandes dessinées un peu horrifiques), a été appelé corona virus, le virus en forme de couronne. Je trouve pour ma part que c’est lui faire beaucoup d’honneur que de le couronner si vite ! Car Dieu seul est le Roi du monde. Et Celui qui a démis Satan de sa puissance usurpée est bien assez fort pour découronner le virus. Par notre quarantaine forcée devenue quarantaine offerte, montons tous à l’assaut et contribuons à découronner l’usurpateur ! Et commençons par nous associer, si vous le voulez bien, à la grande neuvaine d’intercession proposée par le sanctuaire de Lourdes du 17 au 25 mars (vous la trouvez aussi sur ce site).

 

Dans ma prière quotidienne et spécialement dans l’eucharistie je demande, pour tous et pour chacun, avec l’intercession de saint Louis de France (patron de notre diocèse), des bienheureux Charles de Blois, Daniel Brottier, Christophe Lebreton et de tous les saints, la surabondance de la foi, de l’espérance et de la charité et la bénédiction du Seigneur à jamais vivant et qui donne la vie.

 

Le 16 mars de l’an de grâce 2020,

 

† Jean-Pierre Batut, évêque de Blois

 

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